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Documents

Écriture et graphisme

Des premières traces jusqu’à l’écriture

Du dessin à l’écriture : le passage

L’enfant qui écrit mal

Écrire, mal écrire

La graphothérapie clinique

Écriture et handicap

Du dessin à l’écriture : le passage

Lors de l’apprentissage de l’écriture, le tracé des lettres conserve, chez tout enfant, pendant un certain temps une forte imprégnation de l’image. Bien qu’il en ait acquis la signification linguistique, et qu’il sache, par exemple, reconnaitre dans le tracé du «a» la lettre «a», l’enfant n’en persiste pas moins à tracer cette lettre comme un dessin, c’est-à-dire comme un ensemble constitué de fragments accolés. Ainsi le «a» restera, dans sa main, un rond suivi d’un trait incurvé vers le bas, le «m» une succession de cannes, ce qui, du reste, est souvent favorisé, et donc pas toujours à bon escient, par l’éducateur. Car il est nécessaire que, dans son tracé, l’enfant dégage la lettre de sa facture de dessin pour lui donner totalement son statut de lettre, de symbole. Cette transformation de la lettre-dessin en lettre-symbole s’opère lorsque l’enfant abandonne la fragmentation pour tracer la lettre d’un seul mouvement, c’est-à-dire lorsque la lettre acquiert son unité. De lettre fragmentaire elle devient lettre unitaire. Ce n’est qu’alors qu’elle a acquis le statut de symbole, ce n’est qu’alors que dans son tracé l’enfant a vraiment introduit l’ordre du langage. Le tracé n’est plus un seul tracé-image, il est devenu un tracé-langage.

Avec cette reconversion graphique d’une forme-image en forme-verbale c’est aussi du son, de la phonétique, qui va entrer avec la lettre dans le tracé.

Cette question du passage du figuré au phonétique est capitale dans l’évolution de l’écriture de l’enfant. Les rapports du visuel à l’auditif constituent la question centrale de l’écrit. Freud, l’évoque dans «Le moi et le ça», quand il insiste sur le fait que le visuel est négligeable dans l’écrit. «La lecture dit-il introduit du visuel dans les représentations verbales et ces éléments visuels on peut les négliger car ils sont secondaires». C’est-à-dire qu’ils doivent devenir secondaires. Freud dira également que le mot écrit est un reste mnésique du mot entendu. C’est bien dire que c’est l’auditif, le phonétique qui doit prévaloir sur le visuel du tracé écrit.

Mais quand l’enfant apprend à écrire et que le langage passe de la bouche à la main de l’enfant pour devenir langage écrit, il doit toutefois s’opérer une transformation de l’auditif au visuel via le tracé. A ce moment là le langage, d’une certaine manière, doit quitter la bouche qui le parle pour la main qui le trace. La bouche qui parle doit donc se taire pour laisser agir la main qui trace. C’est quand la main peut tracer les lettres dans le silence que l’enfant commence vraiment à écrire, en ne gardant que le souvenir auditif du mot.

Le passage du langage de la bouche à la main est aussi éloignement. Si l’enfant franchit une étape dans la séparation d’avec sa mère quand il commence à parler, il n’en demeure pas moins que dans le langage verbal l’oral persiste, par la bouche, et la nécessaire proximité, c’est-à-dire la nécessaire présence de l’autre. On parle toujours à quelqu’un qui est là, présent. Avec l’écriture une étape de plus est franchie dans ce cheminement vers la séparation et l’autonomisation.

Dans la suite de l’évolution de l’écriture, à l’unification de la lettre va succéder l’unification du mot à partir des lettres et avec les lettres. En outre, l’enfant prend de plus en plus de distance par rapport à son écriture. Son regard s’attache moins à la forme qu’aux mots écrits c’est-à-dire à ce qui s’y dit. Il ne regarde plus son écriture mais ce qu’il écrit. Il se produit comme une sorte de «détachement» du corps. Le corps y est moins, la main «écrit toute seule» se prennent à dire parfois les enfants de huit-neuf ans.

C’est alors l’âge des écritures aux lettres bien formées, aux liaisons bien ajustées, à la mise en page ordonnée, en bonne conformité à la règle calligraphique. C’est ce que nous avons appelé «la période de latence de l’écriture».

Ce n’est qu’après ce stade que l’écriture va se personnaliser c’est-à-dire s’éloigner du modèle imposé, prendre de la distance vis à vis de ce modèle, une distance nécessairement mesurée bien sûr puisque l’écriture doit rester lisible. Et le résultat sera d’autant plus heureux, c’est à dire l’écriture d’autant plus réussie, personnelle, originale, que la règle aura été bien intégrée. L’écriture devient automatique. Elle est devenue «instrumentale», un instrument de transcription du langage, et «fonctionnelle», c’est-à-dire qu’elle joue pleinement sa fonction d’outil langagier. Détachement de l’image, détachement de la voix, détachement d’un trop de corps, pour une écriture fluide, distanciée, tracée du bout de la main.

Ainsi, toute la problématique du lien et de la séparation est très agissante dans la mise en place de l’écriture chez l’enfant. Et pour s’approprier et maitriser véritablement l’écriture l’enfant ne peut faire l’économie de bien des renoncements. Tant que son écriture reste tracée «à la manière» d’un dessin, tant que la lettre n’est pas restituée dans son unité pour former un mot, isolé des autres mais en harmonie avec les autres, c’est que l’écriture n’est pas suffisamment détachée de ses racines. C’est qu’elle reste, en quelque sorte, un symbole «incorporé» dans de l’image, en un processus qui tente de la maintenir «à l’identique» de ce qui existait auparavant. Elle est alors ni tout à fait image, ni tout à fait symbole. Le passage à la lettre exige en effet que l’enfant soit capable de faire le deuil de ce que le tracé a été, pour y introduire la lettre.

Marie- Alice Du Pasquier


AEGC, Association pour l’Enseignement de la Graphothérapie Clinique

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